Intro

« Face à une mon­tée d’un nou­veau conser­va­tisme […] le Président de la République conti­nue de por­ter un agen­da pro­gres­siste et fémi­niste ». C’est du moins ce qu’on pou­vait lire, le 8 mars 2022, sur le site offi­ciel de l’Élysée. Ses outrances pro­fé­rées en défense d’un fameux comé­dien accu­sé de viols nous reviennent en mémoire — on s’é­touffe. Outre les mots, qu’on retourne comme un gant, il y a les chiffres. En février 2024, le col­lec­tif Nous Toutes rap­pe­lait que 900 fémi­ni­cides avaient eu lieu sous la pré­si­dence Macron. « Chaque année, le comp­teur est remis à zéro, mais les fémi­ni­cides ne s’arrêtent jamais » rap­pelle la juriste et membre du col­lec­tif Maëlle Noir. Derrière la len­teur à agir se trouve, on le sait, un système patriar­cal à la peau dur. Pour par­ti­ci­per à sa méti­cu­leuse des­truc­tion, a‑t-on seule­ment fini de le décrire et d’en faire la cri­tique ? Selon le pro­fes­seur de sciences poli­tiques et essayiste anar­chiste Francis Dupuis-Déri, un concept manque encore dans le lexique fran­co­phone : celui de « supré­ma­tie mâle ». Dans ce texte, il revient sur son émer­gence et pro­pose de « l’intégrer dans la boîte à outils fémi­niste », ce qui, espère-t-il, « pour­rait contri­buer à la lutte de démo­li­tion du patriar­cat ».

Extrait choisi

Au début des années 1980, la phi­lo­sophe fémi­niste éta­su­nienne Marilyn Frye2 a iden­ti­fié six prin­cipes struc­tu­rants de la supré­ma­tie mâle. Soit : 1) la pré­ten­tion que cer­tains droits sont asso­ciés natu­rel­le­ment aux hommes du simple fait d’être homme (la liber­té de mou­ve­ment, l’intégrité phy­sique, un emploi, une pro­prié­té, une épouse et des enfants, etc.) ; 2) l’homosocialisation des boys clubs3 et l’homoérotisme, qui consiste à réser­ver aux autres hommes le res­pect, l’admiration et l’idolâtrie ; 3) le mépris et la haine à l’égard des femmes (la miso­gy­nie) et des hommes dits « effé­mi­nés » ; 4) la sacra­li­sa­tion du pénis comme sym­bole de supé­rio­ri­té (phal­lo­cra­tie) ; 5) don­née à la sexua­li­té mas­cu­line ; 6) la pré­somp­tion que le pénis peut — et doit — tout péné­trer, y com­pris avec vio­lence, et que cette péné­tra­tion est syno­nyme de puis­sance, de conquête et de vic­toire. On asso­cie alors à un crime de lèse-majes­té la pri­va­tion de cer­tains pri­vi­lèges aux­quels un homme croit avoir droit en tant qu’homme : un emploi, une conjointe, la sexua­li­té à volon­té, des espaces de non-mixi­té mas­cu­line, la pos­si­bi­li­té de péné­trer tous les espaces, etc.